le journal de bord d'un prof
|
|
![]()
Ross Lemke Entraîneur des quarts-arrières, Carabins de l'Université de Montréal |
|
Juillet 1991…Le labyrinthe Si tu approches Chartres du sud-ouest en vélo, tu auras une vision extraordinaire de la célèbre cathédrale qui flotte avec une légèreté incroyable au-dessus des immenses champs de grain. L’horizon est un immense aimant spirituel et tu avances, animé par la même énergie qui a sûrement accueilli les pèlerins du Moyen-Age. Autrefois, les croyants faisaient halte à ce pôle d’attraction afin de dédier leur voyage à Saint-Jacques de Compostelle et la Terre Sainte. La tradition exigeait que le fidèle parcourt à genou une immense mosaïque d’un labyrinthe, laquelle caractérisait presque tous les planchers des cathédrales gothiques de France, mais curieusement qui est restée intacte seulement à Chartres. Le pénitent cherchait pendant de longues heures à parcourir cette route tortueuse inspirée par la mythologie grecque, symboliquement à la recherche de son Jérusalem ou son ciel, après un trajet ou une vie pleine de périls. Chaque âge a besoin d’une métaphore pour l’homme qui cherche, et les pierres grugées à Chartres sont un témoignage éloquent d’un millenium qui n’a pas pris la responsabilité à la légère. La réduction ayant une forme géométrique d’une vie pleine d’obstacles, de défis, de défaites et d’opportunités m’a fasciné et dans les ombres de Chartres, la solitude m’a permis de contempler un homme de 47 ans, toujours pèlerin, toujours dans son labyrinthe bien personnalisé et prêt à partager son journal de bord… Août 1991… À Grenoble, quand je désirais mettre ma vie en perspective, je me dirigeais à notre stade de football des heures avant les entraînements. Assis seul dans les gradins, j’ai contemplé les vents effacer et réécrire les immenses champs de neige qui dominaient l’horizon de ma ville d’adoption. Assis devant ce miroir, je passais mes doigts sur les rides et les cicatrices de mon visage et je touchais ma gorge, cherchant mon pouls, témoin constant et absolu de ma mortalité. Assis seul avec l’écho de ce tambour, mon esprit dansait, illuminé par les reflets de cristaux des glaciers lointains, dans toutes les crevasses de mes défaites et sur tous les sommets de mes succès. Assis seul dans les gradins, l’unique spectateur de mon propre crépuscule et celui de la journée, je ressentais un calme et une humilité totale. Mon voyage n’a duré que six mois mais j’ai vite constaté , à mon retour, à quel point les vents ont bien couvert mes traces. C’était à prévoir et même prédit… Seulement Pénélope a attendu Ulysse pendant 20 ans. Devant la polyvalente, avec un groupe de collègues qui, eux aussi ont connu les effets de l’érosion, je tente d’articuler mon attitude mais, dans ma minusculité , je ne bafoue que des sentiments. Cependant Thérèse Messier me laisse avec un mot d’encouragement qui déclenche en moi un sens de dignité et me catapulte dans les gradins de Grenoble ou je suis assis encore assis seul, réchauffé par les derniers rayons de la journée, en compagnie de fantômes des anciens moines qui ont toujours trouvé la paix dans leurs monastères perdus dans les Alpes si aimées. En après-midi, j’ai dû faire tuer notre chien de 14 ans. Avant que la brume descende sur l’immense mer de ses yeux bruns, je voyais son esprit infiltrer mes larmes et se cacher pour toujours dans la caverne de mes plus profondes affections. Avant qu’il glisse inerte sur la table d’acier, j’ai pris une décision à laquelle j’étais à la recherche depuis des milliers de kilomètres, deux continents et une centaine de conversations. J’ai ramené notre chien chez nous et l’ai déposé dans sa dernière niche, sous son arbre préféré. Avec chaque pelleté de terre qui annonçait notre avenir à tous, je savais que je continuerais, malgré tout, le programme de football. Un mort dans la journée d’un homme est suffisant…..
|
|
Correspondance: |