Pierre Lavoie

 

La Presse, Montréal, 26 Juin 2005

 

Laurie et Raphael.

Deux noms gravés sur la pierre tombale.

Deux énormes chagrins portés par leurs parents. Lynne Routhier et Pierre Lavoie. Laurie avait 4 ans. Raphael 20 mois. Les enfants ont tous deux été emportés par l'acidose lactique, maladie héréditaire faucheuse de vie dans les premières années.

Au Saguenay- Lac- St-Jean, une personne sur 22 est porteuse du gène, soit environ 14,000 personnes. À ce jour, un enfant sur 2000 naissait avec la maladie. En 2003, les scientifiques ont enfin découvert le défaut génétique. Trois gouttes de sang sur un papier buvard suffissent à déterminer qui est porteur. Il ne reste plus (!) qu'à trouver un médicament. C'est pour cela que Pierre Lavoie pédale sans relâche depuis 1999. Son dernier exploit: une expédition de La Baie à Chicoutimi, 650 km en 24 heures, pour amasser des fonds destinés aux chercheurs.

Le triathlonien, champion du monde de l'Ironman d' Hawaii (catégorie des 40-44 ans) et athlète cycliste de 41 ans, a pu ainsi leur remettre 283,000 $. Il y a là du courage, mais aussi du charisme et de la détermination. Pierre Lavoie est devenu un héros; La Presse le nomme personnalité de la semaine.

À chaque coup de pédale, des kilomètres avalés, des larmes ravalées, le papa porte ses enfants sur son coeur. Et une toute petite coccinelle en guise de médaillon à son cou. Elle appartenait à Laurie et ne la quitte jamais. C'est par l'action que Pierre Lavoie a choisi d'éloigner la mort.

Des Bracelets bleus

L'acidose lactique était une maladie méconnue jusqu'en 1998. Les enfants mouraient en bas âge et les symptômes suggèraient des diagnostics erronés. Il s'agissait en général de troubles digestifs graves, de la fatigue immense, de difficultés respiratoires. L'accumulation d'acide lactique dans le sang est une véritable bombe à retardement. La mort survenait parfois en quelques minutes. C'est à force de hasards, d'enquêtes, et de recoupements que les pédiatres ont compris qu'ils avaient affaire à une maladie génétique.

"La maladie nous as enlevé beaucoup de choses, ce furent les pires moments de notre vie. Mais maintenant c'est positif: elle nous a aussi appris à construire"

dit Pierre Lavoie. D'abord il y a son fils aîné, Bruno-Pierrre, 15 ans, qui a échappé à la maladie par un quelconque mystère des gènes, et Joly-Ann, sa fille de 17 mois, qui elle est née grâce au test de dépistage. De plus trois équipes de scientifiques de la province travaillent d'arrache-pied afin de trouver une médication.

"On est des Bleuets, dit-il en riant, on a pensé à offrir un petit bracelet bleu à 2$. Il y a 50,000 personnes qui le portent"

ajoute-t-il fièrement. Il fait un clin d'oeil aux 250,000 autres Bleuets hors région. Ce bracelet est l'emblème de l' Association de l'acidose lactique, dont il est président. Il y a de quoi pavoiser: partir de zéro, mobiliser une population et la sensibiliser, contribuer à ce que l'on trouve un test de dépistage par des actions concrètes. Opérateur de machinerie chez Alcan à Alma, Pierre Lavoie est reconnaissant à ses employeurs de l'avoir libéré avec salaire pour trois ans afin qu'il puisse poursuivre son oeuvre.

Si les Routhier-Lavoie sont des modèles sur le plan de la détermination, ils le sont aussi comme couple: dans les cas de maladie grave et de décès d'un enfant, près de 80 % des couples ne tiennent pas le coup. À une époque de ma vie, raconte-t-il, j'étais hyperactif, fumeur et sédentaire. Un jour j'ai rencontré une fille qui m'a influencé. Voilà 20 ans que Lynne et moi sommes ensemble. C'est évident qu'en rendant publique notre histoire, en se lancant dans la bataille. Il fallait aller jusqu'au bout et assumer aussi les inconvénients. L'intrusion dans la vie intime, notamment, a été le plus difficile à gérer.

Un signe

"Je n'ai plus peur de vieillir ni de mourir, je vis différemment, confie Pierre Lavoie. Il ne faut pas baisser les bras mais se battre"

Avec une vue sur le fjord, la forêt à deux tours de roues, l'athlète ne manque ni de lieux ni d'espace pour jeter au vent ce qui lui reste de chagrin.

"J'écoute Pierre Lapointe et nous allons au cinéma, ma femme et moi pour nous distraire. La vie reprend ses droits. C'est d'ailleurs beaucoup grâce à Bruno-Pierre que nous avons tenu le coup."

Né à l'anse-Saint-Jean, Pierre est le plus jeune de quatre enfants. Son père était camionneur. Son grand-père, Julien Lavoie, était une véritable dans la région.

"Un bûcheron avec une hache, très fort et endurant, invincible. J'ai hérité de son énergie."

Ce que la vie lui enseigne maintenant:

"Le respect des autres. Si on crie à l'aide, ils seront là pour aider. Il faut aussi se battre avec persévérance et discipline."

Perdre un enfant est la pire chose au monde. Il y aura toujours, dans un repli de leur coeur, un petit air doux, ces mots d'une chanson d'Yves Duteuil qu'ils chantaient avec leurs petits et que Pierre a entendue au moment où il en avait le plus besoin:

prendre un enfant par la main,

et lui chanter des refrains,

pour qu'il s'endorme à la tombée du jour.

C'est pour lui un signe de leur présence éternelle.

Site de l'acidose lactique : www.aal.qc.ca